L’Invocation, meilleure manifestation de la clémence d’Allah envers les croyants
L’Invocation, meilleure manifestation de la clémence d’Allah envers les croyants[1]
Au nom d’Allah, le Clément, le Miséricordieux. Louange à Allah, Maître des univers ; que le salut et la prière soient sur le plus noble des messagers, le Prophète Mohammad, celui qui a scellé le cycle de la prophétie, sur sa famille, sur ceux qui ont appelé à son message et ont suivi sa tradition et ce, jusqu’au jour de la résurrection.
Seigneur, fais que mon cœur s’ouvre à Ta lumière, fais que ma mission me soit plus aisée à remplir, délie ma langue de tout embarras, afin qu’on puisse comprendre ce que je dis. Louange à Toi, nous ignorons toute science, hormis l’enseignement reçu de Toi, car Tu es l’Omniscient, le Sage.
Sire, Sa Majesté l’Emir des croyants qui veille sur le bien de la communauté et de la religion, qu’Allah vous préserve en vous accordant la foi; qu’Il vous assiste en vous prodiguant sa gloire et en raffermissant vos pas; qu’Il mette toujours le succès dans votre voie et toutes les étapes du parcours que vous entreprenez en matière de politique et de religion, Amen !
Je salue votre éminente personne par la grâce et les bénédictions d’Allah.
Permettez tout d’abord, Sire, avant que je commence ma causerie que voici consignée dans ces petites pages, par vous présenter toutes mes plus vives félicitations pour vos nombreuses marches du progrès qu’Allah a couronnées toutes de Son succès, et en premier lieu, celle de la bienfaisance envers la science religieuse et les Ouléma, et de l’intérêt que vous portez à la religion, suivant en cela la voie de vos glorieux ancêtres. Par la même occasion, permettez que j’exprime à Votre Majesté mes remerciements les plus sincères et les plus dévoués pour m’avoir offert cette rare occasion de me retrouver cette année encore avec ce groupe de penseurs et d’Ouléma, vos invités qui se livrent en votre présence, et sous votre patronage direct, à rendre service à l’Islam et aux Musulmans.
Pour ma part, à chaque fois que je prends place sur cette chaire auguste, et sans me rendre compte, je récite en mon for intérieur ces paroles où Allah dit : « Seigneur ! fais que je rende grâce des bienfaits dont Tu m’as comblé ainsi que mes parents. Fais que j’accomplisse des œuvres pieuses que Tu agrées et accueille-moi en Ta Miséricorde parmi Tes saints serviteurs ». Et si voilà bientôt vingt-cinq ans que j’ai donné ma première conférence dans ce lieu béni, les bienfaits de toutes ces années ne sauraient être mesurés, ni en qualité, ni en quantité ; et si jamais j’avais à refaire le même parcours, j’aurais sans hésitation aucune suivi la même voie; grâce soit rendue à Allah par les bienfaits de qui se réalisent les actes.
J’ai choisi pour ma causerie le titre de : « L’invocation : meilleure manifestation de la clémence d’Allah envers les croyants », et c’est ce je tenterai, avec humilité, de démontrer pendant le temps qui m’est imparti, à partir du verset 186 de la sourate (chapitre coranique) « Al-Baqara » (la génisse) et où Allah dit : « Si Mes serviteurs t’interrogent à Mon sujet, qu’ils sachent que Je suis tout proche d’eux, prêt à exaucer la prière de qui M’invoque. Qu’ils répondent à Mon appel et qu’ils croient en Moi. Ainsi, atteindraient-ils la voie du salut « .
Le livre d’Allah comporte de nombreux versets qui traitent de l’invocation, toujours avec le même procédé, avec la même tendresse et avec la même profusion du caractère sacré de cette pratique religieuse. Nous pouvons lire à titre d’exemple, dans la sourate (chapitre) « Les Croyants » : « Votre Seigneur a dit : « Invoquez-Moi : Je vous exaucerai ! Ceux qui par orgueil, refuseront de Me servir, entreront, tête basse, en enfer « .
L’invocation dans ce verset est synonyme de la prière rituelle, car le terme comporte la demande de la part de la créature qui l’adresse à Allah ; comme il comporte également la signification de l’Adoration d’Allah avec sincérité. D’autre part, la promesse divine contient la réponse à la demande adressée à Allah qui agrée cette Adoration. Rien d’étonnant à cela, puisque dans la tradition du Prophète (Sunna) ainsi que dans plusieurs propos du Prophète (P.S.) rapportés par l’Imam Tabari, d’après Al Nu’man ibn Bachir, par exemple, ainsi que par d’autres traditionnistes, il est affirmé explicitement que l’invocation, c’est l’Adoration d’Allah, voire l’essence même de cette Adoration. Nous trouvons également dans le chapitre coranique (sourate) « Al ‘A’raf » le même sens: « Dis: Allah ne peut ordonner que I’équité! Aussi bien, prosternez-vous devant Lui à chaque office ; invoquez-Le d’une foi pure ».
Ce verset, d’après l’auteur de « Al Manar », est un commandement franc de s’éloigner de tout ce qui comporterait un brin d’associationnisme, majeur ou mineur soit-il, comme la fausse dévotion et l’hypocrisie.
Le petit-fils du Prophète, Al Hassan, interprète le verset : « Invoquez-Moi et Je vous exaucerai » ainsi : « Agissez-en bien et puis annoncez une bonne nouvelle. Allah le Tout Puissant promet, non seulement d’exaucer les vœux de ceux qui croient et accomplissent des actes pieux, mais de leur accorder un surplus de ses bienfaits ». Si cette dernière tradition s’arrête à Al Hassan, il n’en reste pas moins que sa chaîne de garants est bonne. En fait, les paroles où Allah dit : » Si Mes créatures t’interrogent à Mon sujet, qu’ils sachent que Je suis tout proche d’eux, prêt à exaucer la prière de qui M’invoque ». Ces paroles, disais-je, ont toujours soulevé en moi les sentiments de gratitude, de reconnaissance et d’humilité devant la grandeur d’Allah. Louange à Lui ! Comme Sa clémence est vaste ! Et comme son indulgence envers ses créatures est grande, surtout ceux dont les moments de leur existence sont imprégnés par la parole où Allah dit : « Ô vous les hommes, ce sont vous qui êtes les pauvres vis à vis d’Allah et c’est Allah Lui qui est le Riche, le Loué « .
Le jour de la Résurrection, Il tiendra de Ses mains toute la terre ; les cieux, dans leur immensité, tiendront dans Sa main droite. Cependant, dans Sa gloire et Sa puissance, Il révèle à son Envoyé (P.S.), à partir de ces versets et bien d’autres encore, de transmettre à l’homme cet éloquent message qui veut que les portes de la miséricorde divine demeurent grandes ouvertes, en tout moment, pour exaucer les vœux de celui qui L’invoque.
Ainsi, Allah, non seulement entend la prière de celui qui l’invoque, mais accepte également le retour des repentants, vient en aide aux affligés, facilite la voie du retour aux égarés et pardonne les péchés qu’Il transforme même en œuvres pies, pour celui dont le repentir est sincère.
Dans le dictionnaire : « Al Muhit », l’invocation est définie en tant qu’aspiration aux bienfaits d’Allah et le fait de Lui adresser une demande. Elle comporte en outre, toujours selon « Al Muhit », les sens de la prière et du fait de demander du secours. L’ensemble de l’article de ce dictionnaire veut apporter la preuve que l’invocation est en fait une résignation et une humilité devant Allah dont on implore les bienfaits, tout en croyant fermement en sa générosité. On a demandé à ce sujet un jour à Anass Ibn Malik, que Dieu soit satisfait de lui : « Ô Abu Hamza ! Est-ce qu’il t’est parvenu que l’invocation constitue la moitié de la prière rituelle ? » Il répondit qu’elle était plutôt la prière entière, dans sa totalité. Et comment n’en serait-il pas ainsi, alors que lorsque le croyant ayant foi en l’unicité de Dieu Lui adresse une prière, il est sûr et de son existence et de ses attributs en tant qu’Auditant et Voyant, que Riche et Généreux et qui donne à qui Il veut, librement et sans rien attendre en retour ? je veux dire par-là que la personne qui invoque Allah doit tout d’abord rassembler toutes les conditions de la foi en Dieu qui a pouvoir absolu sur toute chose tel qu’Il se définit lui-même dans ce verset : « Qui donc exerce, sur toute chose un pouvoir souverain? Qui donc protège et n’a nul besoin de protecteur ».
Parler en somme de l’invocation en Islam revient à parler de la foi en tant que fondement et raison d’être de cette prière. La prière adressée à Dieu, quelles que soient la manière utilisée et la quête qu’on entend réaliser, est l’affaire de tous les croyants, dans leurs différences et leur pluralité, quelle que soit leur position morale ou matérielle.
Que nous traitions donc de l’invocation dans ce cénacle, et à partir de cette haute chaire, ne veut point dire malheureusement que nous prétendons épuiser la totalité du sujet.
Notre objectif par conséquent ne se propose que de saisir cette occasion pour rappeler que la foi, qui est en rapport intime avec l’invocation, comme je l’ai déjà indiqué, constitue une charité effective et sans limite de la part du croyant.
Nous nous devons donc de rappeler ce fait en toute circonstance !
Evoquer certains aspects de ce sujet, à l’aube du 20è siècle, ne peut donc qu’être profitable, au moins pour ceux que j’ai eu l’occasion de rencontrer dans plusieurs pays du monde, pendant qu’ils étaient éblouis par le progrès scientifique et technique. Ces personnes étaient aveuglées par les effets de la propagande et de la diffusion des produits industriels et culturels du progrès technique actuel, des produits attirants et qui ont suscité l’espoir de l’homme, l’homme moderne, au bonheur et à la sécurité, avant de subir le choc d’une triste réalité. En effet, cet extraordinaire développement matériel auquel nous assistons aujourd’hui, ne signifie pas nécessairement un progrès civilisationnel à l’aube duquel les hommes de la terre peuvent aspirer à la solidarité et la fraternité. Ce monde, un petit village transparent où tout se voit au grand jour, le bien comme le mal, la richesse comme la pauvreté et où également nous apparaît l’ébloui par le progrès technique, pareil au vaincu qui s’éprend des usages du vainqueur et de sa culture. Ce passionné par la technique, dans le cas d’un Musulman, finit généralement par mimer le vainqueur et par suivre la même voie que lui, se retrouvant ainsi dans une situation où sa personnalité islamique s’expose à la dissolution et où il commence à douter de ses valeurs culturelles menacées de plus en plus, car nous assistons aujourd’hui à certaines attitudes et certains comportements qui ne cachent plus qu’ils visent à effacer la personnalité musulmane et à défigurer sa culture.
Revenons au thème de notre conférence, si nous passons en revue les références de la science islamique concernant notre verset de départ, nous trouverons de nombreux commentaires et interprétations, tous aussi instructifs les uns que les autres. Personnellement, c’est l’exégèse du maître de l’interprétation coranique, le compagnon Abdellah ibn Abbas qui me semble la plus appropriée concernant notre verset.
Ainsi, le verset aurait été révélé en réponse à une question, sous forme d’objection, posée par les Juifs de Médine au Prophète (P.S.). On a dit également que certains compagnons avaient demandé au Prophète (P.S.) : » Dieu est-il proche pour que nous nous adressions à Lui confidentiellement à voix basse, ou est-Il éloigné pour que nous L’interpellions à haute voix ? « . Une autre circonstance de la révélation du verset rapporte que les compagnons du Prophète lui avaient demandé à quel moment ils devaient invoquer Allah.
A cet égard, l’Imam Al Khazin apporte le commentaire suivant : » La question peut être posée indifféremment, ou sur l’essence de Dieu, ou Ses attributs, ou Ses actes. Concernant l’essence, la question est posée sur l’éloignement ou la proximité de Dieu, quant aux attributs, la question voudrait savoir s’Il entend l’invocation, et pour ce qui est de Ses actes, elle voudrait savoir s’Il exauce notre prière « .
La réponse divine : » Si Mes créatures te posent des questions sur Ma personne, je suis tout près d’eux prêt à exaucer la prière de qui M’invoque », répond à ces trois genres de questions réunies. Ensuite : » Je suis tout près » veut dire que la proximité se réalise par Son omniscience qui touche tout.
Cette phase coranique comporte en outre une indication touchant le fait que Dieu accorde Ses vœux à qui L’invoque, une promesse divine ne souffrant aucun doute et émanant de celui qui ne manque jamais à Sa parole.
La question à l’origine de cette révélation divine, si elle est ancienne, elle se renouvelle néanmoins et demeure donc actuelle. C’est la question d’ailleurs que se posent aujourd’hui certains Musulmans qui se demandent pourquoi, alors qu’ils invoquent souvent Allah, leurs vœux tardent à être exaucés. Cette question cependant a été tranchée définitivement par le Prophète (P.S.) lorsque dans une de ses traditions, il a traité le cas de certains de ses contemporains qui passaient le plus clair de leur temps à invoquer Allah, les cheveux ébouriffés pleins de poussière, et ne prenant pas leur part de la vie en abandonnant leurs responsabilités ici-bas.
Parmi les causes de cet empêchement à la réalisation des vœux, la déviation de la voie de la pleine soumission à la volonté divine, qu’Allah nous en préserve ! Au lieu de retourner à la voie droite par l’aspiration à devenir meilleur en amendant leur essence qui est ici comme un poste récepteur en panne, certaines personnes préfèrent philosopher la situation et ouvrent ainsi les portes au doute, quant au destin et aux bienfaits du repentir, Allah ne dit-Il pas : « Quiconque, cependant une fois son forfait accompli, en ressentira le regret et s’appliquera à s’amender, se verra absout par Dieu ».
Le Prophète (P.S.) a dit concernant le meilleur moyen de parvenir à ce que Dieu exauce les vœux par l’invocation : « Toute personne qui invoque Allah et Lui adresse une prière, Allah l’exaucera de trois manières : ou bien Il lui accorde sa demande, ou bien Il lui accorde un autre bienfait semblable à celui demandé, ou bien il détourne de lui quelque mal dont il n’a nulle connaissance, en contrepartie ». C’est qu’en effet, celui qui invoque Allah le fait selon son entendement tout à fait relatif, et, en levant la main vers le ciel, adresse une demande à Allah selon ses désirs en tant qu’être humain. Mais Allah, dans Sa merveilleuse clémence exauce les vœux selon Sa science absolue et choisit parfois pour le pauvre, un bienfait que celui-ci ignore, ne soupçonne même pas et que s’il en connaissait la teneur n’aurait demandé que ce bienfait en dehors de tout autre.
Tel par exemple avait tout fait pendant des années pour aller travailler en Amérique, mais Allah ne réalise pas son vœu. Ce pauvre reste donc dans sa ville natale quand soudainement, il atteint sa véritable vocation et commence une vie de joie et de bonheur afin qu’il se rende à la vérité que c’est Allah qui sait où réside son bonheur et non pas lui.
Les deux corpus authentiques de Muslim et de Bukhari rapportent que, le jour de la résurrection, plusieurs personnes seront surprises de constater que leurs vœux sont demeurés chez le Tout Puissant pour qu’elles puissent affronter le Jour du jugement dernier, et commencent même à regretter que tous leurs vœux ici-bas n’aient pas été réservés pour ce moment crucial, comme nous l’explique le Prophète (P.S.) dans un de ses propos. Un des compagnons présents commenta le phénomène en disant : « Nous n’aurons qu’à demander davantage à Allah comme ça, nous aurons un surplus de vœux non exaucés réservés pour l’au-delà « . A quoi le Prophète (P.S.) répondit : « Ce que peut prodiguer Allah est bien plus nombreux que toutes vos demandes réunies ». Certes, les bienfaits d’Allah ne connaissent aucune limite !
J’ai dernièrement rencontré au Nord de l’Italie des personnes intriguées par la question, qui se demandaient pourquoi invoquer Allah et lui adresser des prières sur des choses dont il a connaissance quant à leur accomplissement. En réponse, et pour illustrer mes explications, j’ai adapté une maxime ancienne dans ces vers de poésie :
» Il m’ont demandé pourquoi je me plains à Lui
Sur des choses dont Il a tout à fait connaissance
Je leur ai répondu qu’Allah agrée
De Son esclave, l’avilissement. »
Sauf que bien sûr, l’avilissement du croyant devant son créateur n’est qu’honneur et dignité ! Souvent, dans mes réunions avec les immigrés musulmans en Europe, nous ne manquons pas d’aborder l’invocation pour sa relation intime avec la doctrine Musulmane, mais aussi parce que ne pas le rappeler risque de faire chanceler la foi après qu’elle a été consolidée.
L’invocation cependant possède ses conditions en tant que code moral qu’on est tenu de respecter. La preuve de l’Islam, l’imam Al Ghazali, en cite dix, dont essentiellement :
– Que celui qui veut invoquer Allah choisisse le moment idéal.
– Qu’il soit lui aussi dans la situation la plus opportune, autrement dit le moment où il est dans un état idéal, un état de grâce ou de magnificence, ou lorsque la personne est dans un rapport privilégié avec Allah, ou également lorsqu’elle aura subi une injustice, car dans ce dernier cas, plus aucun obstacle ne s’interpose entre la prière et Allah.
– Qu’il baisse la voix et qu’il évite d’être arrogant. Prenons l’exemple sur le Prophète (P.S.) qui, ayant entendu les invocations de quelques pèlerins aux lieux saints, leur a dit : « Ô vous là-bas celui que vous invoquez n’est pas sourd et n’est pas absent ». Rappelons également que l’Islam s’est toujours organisé autour du concept de l’équilibre et du juste milieu.
– Que l’invocation ne se construise pas forcément à partir d’une rime, surtout si elle est forcée. C’est qu’en effet, la situation où se trouve la personne qui invoque Allah, pour qu’elle la préserve, et pour que lui soit accordé quelque bien ou quelque clémence, est tellement sérieuse que toute attitude affectée est à éviter, à moins que la rime ne vienne spontanément.
– Qu’il implore Allah dans le recueillement total, car Allah dit : « Implorez humblement et discrètement votre Seigneur ! ». Là aussi aucune affectation stylistique ne devrait déranger ce recueillement dans sa plénitude.
– Qu’il invoque Allah avec la certitude que celui-ci l’entend et répondra à son appel. Qu’il n’introduise pas, par exemple, de condition dans son invocation.
– Qu’il persévère dans son invocation avec optimisme et ne dise pas par exemple: « J’ai invoqué largement, sans qu’il me soit donné de réponse », car la promesse d’Allah est sincère. Il appartient donc à l’orant de garder ses bonnes dispositions, sachant qu’Allah peut exaucer un vœu de plusieurs manières que nous ignorons, comme on l’a vu plus haut.
– Commencer par louer Allah et ne pas se précipiter à adresser la demande. Même les poètes, quand ils louent quelque prince, mettent leur requête à la fin du poème, que serait-ce alors pour Allah, qui Lui est le plus digne de toute louange et de toute considération ? Le meilleur exemple à ce propos a été donné par le Prophète (P.S.) qui, souvent entendait les invocations de ses compagnons, puis leur recommandait d’interpeller Allah par l’attribut approprié et leur a indiqué les attributs de la « grandeur » et les divers beaux noms qui en découlent selon les circonstances de l’invocation. On en déduit que cet attribut, pour les connaisseurs, est tributaire des hymnes de glorification. Certains pensent néanmoins qu’à cet attribut, peuvent s’appliquer tous les beaux noms d’Allah, mais aussi selon l’état où se trouve celui qui l’invoque.
– Nous avons déjà dit que celui qui invoque Allah doit se caractériser par le repentir sincère vis à vis d’Allah. Ainsi, s’il est égaré, il tente de revenir sur le bon chemin, s’il a été injuste, il doit rendre leur dû à leurs ayants-droit, car rien ne sert qu’il invoque Allah alors qu’il persiste à transgresser Ses commandements.
Cependant, il nous est apparu, à travers les diverses traditions rapportées sur la génération des dévots et les différents propos du Prophète (P.S.), qu’il est rare que la personne se trouve dans la disponibilité idéale pour invoquer Allah et qu’elle rassemble toutes les conditions qu’Al Ghazali préconise. Mais il arrive qu’une personne se trouve contrainte de recourir à l’invocation : certains trouvent dans cette contrainte un mode de la « grandeur » divine en tant qu’attribut, comme dans ce verset : « Qui donc répond à vos appels de détresse ? « .
Il arrive également qu’un individu se retrouve sans explication dans un état où, spontanément, il élève son invocation vers Allah, sans préparation aucune et sans l’avoir puisée chez quelqu’un d’autre comme cette belle invocation qu’aurait déclamé un tel: « Ô Toi dont la miséricorde touche toute chose, je ne suis qu’une chose, que Ta miséricorde me parvienne, Toi le plus clément parmi les cléments « . Une telle prière ne peut qu’être exaucée !
Dans le verset, objet de notre conférence par exemple, nous retrouvons une belle illustration de l’invocation. Nous citons à titre d’exemple cet autre verset figurant dans le chapitre coranique « Al A’raf » : « Implorez humblement et discrètement votre Seigneur, Allah n’aime pas qu’on excède les bornes, Ne semez pas la corruption sur la terre après que l’ordre y a été établi ! »
Certes, implorer Allah discrètement constitue un motif de l’agrément de l’invocation, alors que le fait d’élever la voix et d’orner stylistiquement les phases de l’invocation constitue lui, une transgression.
Certaines personnes aujourd’hui, recourent dans leurs invocations à des formules incompréhensibles. Concernant cet hermétisme, l’Imam Malik a eu raison de nous mettre en garde contre le fait qu’il peut comporter une mécréance sans qu’on le sache, car on ne connaît pas la personne qui a formulé cette invocation. C’est pourquoi, il est préférable d’utiliser un langage qu’on comprend. Si pendant l’accomplissement des rites du pèlerinage nous conseillons aux pèlerins d’invoquer Allah comme ils l’entendent, c’est parce que si, eux ils ne comprennent pas ce qu’ils disent, Allah, Lui comprend leurs paroles, nous leur signifions néanmoins qu’il serait préférable qu’ils utilisent des formules qu’ils comprennent eux-mêmes. Ici, bien sûr, nous nous confrontons certainement à un problème, car toutes ces invocations aux quelles recourent généralement les gens sont puisées chez le Prophète (P.S.) qui les utilisait. Elles sont donc adressées au Très Haut par celui qui connaît le plus Allah, alors que le commun des mortels ne saurait comment s’adresser à Lui et ne fait donc en les faisant siennes que suivre la voie et prendre en exemple le modèle le plus parfait. Ces personnes doivent donc demander aux ouléma l’attitude à prendre, sinon ils devront utiliser leurs propres formules selon leur propre langage. Il n’y a pas cinq jours de cela, un analphabète ou presque, a invoqué Allah pour moi dans notre dialecte sénégalais, pour moi, ma famille, notre village, le Sénégal… ; son invocation était si belle que j’avais envie de la transcrire pour la traduire en arabe.
Par conséquent, l’être, dans une situation difficile, peut toujours trouver une solution personnelle. A ce propos, l’imam Assyutti Jalal Eddine a composé un petit livre d’une valeur inestimable comportant l’essence de la matière de l’invocation agréée. L’auteur en a retrouvé quatre genres illustrés par trente et un propos du Prophète (P.S.). Toujours selon Assyutti, Allah agrée l’invocation à partir des quatre situations qui sont: un moment où celui qui invoque est proche d’Allah, un moment où il est favorable à la compassion d’Allah, un moment difficile où il ne trouve refuge qu’en Lui seul. Je ne citerai pas les hadiths illustrant ces situations, car ceux-ci sont connus et appris par les ouléma et les étudiants en science des traditions.
Partant, l’invocation agréée est en rapport avec le moment et non pas avec celui qui la formule, car certains moments jouissent des bénédictions d’Allah, et que Assyutti illustre par 27 hadiths. L’auteur cite par ailleurs quatre hadiths pour illustrer l’invocation agréée par le lieu et 27 hadiths concernant l’agrément par le contenu verbal de l’invocation.
Rien n’empêche que ces quatre situations se rassemblent en un jour ou quelques jours toutes ensembles, en une personne vertueuse à un moment et en un lieu aussi privilégié. Il arrive souvent des périodes d’émanation et de profusion comme touchées par un flux magnétique favorable. Enfin, l’auteur conclue par trois propos du Prophète (P.S.) dont celui rapportant qu’un homme avait pénétré dans la mosquée où se trouvait ce jour-là le Prophète. Il accomplit la prière puis dit : » Dieu pardonne-moi mes péchés et accorde-moi Ta clémence « , puis s’apprêta à sortir de la mosquée. Le Prophète lui dit alors : « Tu accomplis ta prière trop rapidement. Lorsque tu finis de prier, assieds-toi pour louer Dieu une louange digne de Lui, ensuite prie sur le Prophète Mohammad ». Et comment ne pas prier sur lui alors qu’il est comme dit de lui Al Bakri :
» Tu es la porte menant à Dieu que ne peut jamais emprunter toute personne s’y présentant sans toi » ?
Cela revient à dire qu’avant d’adresser quelque requête à Dieu, l’orant devrait avoir Son envoyé (P.S.) à l’esprit, le louer et prier sur lui conformément au verset où il est dit : « Allah et Ses anges prient sur le prophète. Ô vous qui croyez, priez aussi sur lui et accordez-lui le plus beau des saluts »
Ce verset, tout comme les autres d’ailleurs est vraiment admirable, car le verbe prier comporte la modalité de la durée et de l’inaccompli comme pour nous signifier qu’on ne doit jamais arrêter de prier sur le Prophète (P.S.) d’autant plus qu’Allah Lui-même et Ses anges prient sur le Prophète, en signe de noblesse et du haut rang qu’il occupe auprès du Tout Puissant.
Une autre tradition rapporte cette fois-ci qu’un homme était entré à la mosquée, a accompli sa prière en prenant tout son temps pour prier et saluer le Prophète (P.S.). Celui-ci lui dit alors : » Demande et tu seras agréé « . Par ailleurs, le Prophète (P.S.) avait l’habitude de faire de bonnes annonciations à qui Allah accorde Ses bienfaits sans qu’ils le sachent. On rapporte aussi que l’élu de Dieu avait entendu un de ses compagnons se taire après avoir énoncé la formule : » Ô Toi le plus clément parmi les cléments ». Il lui dit alors, suppose qu’Il t’ait entendu, tu devrais donc Lui adresser ta prière. Le compagnon avait agi comme celui qui, prenant le combiné, compose un numéro de téléphone puis lorsqu’une voix lui répond à l’autre bout du fil, il ne sait quoi dire. Personnellement, depuis que j’ai pris connaissance de cette tradition, j’ai toujours fait suivre à « Ô Toi le plus clément parmi les cléments par : » prie sur le Prophète que la prière et le salut soient sur lui et pardonne-nous nos péchés « .
Parmi les prières exaucées citons par ailleurs :
– Celle qu’adresse le Musulman au profit de son frère Musulman, en l’absence de ce dernier. Le Prophète (P.S.) la compte parmi celles qu’Allah agrée. On raconte à ce propos qu’un Roi bien inspiré par Dieu, avait pris l’habitude, à chaque invocation de dire : « Amen ! Et à toi de même ». C’est comme si on échangeait l’invocation adressée pour autrui par celle qu’adressent les Anges qui, eux, sont purs et n’enfreignent jamais les ordres d’Allah.
– Celle qu’adresse celui à qui a été accordé quelque bienfait à son bienfaiteur comme cela est établi par une tradition du Prophète (P.S.).
Il est nécessaire aujourd’hui de revoir l’éducation que nous inculquons à notre jeunesse que ce soit dans l’enseignement public ou privé. Lui inculquer un maximum de connaissance est certes profitable, mais approfondir en elle le rôle spirituel de l’éducation islamique demeure incontournable, car nous voulons des diplômés proches d’Allah et que celui qui n’y parvient pas demande à ceux qui connaissent.
L’évocation, l’invocation et la quête continue de Dieu ont constitué un auxiliaire essentiel dans la vie de la première génération des dévots. Quand donc les éducateurs accorderont-ils à ce sujet l’intérêt qu’il mérite ? Invoquer Allah avec insistance pour qu’il exauce nos vœux, ne veut pas du tout dire que nous devrions négliger le recours à la raison, la planification de notre vie ou notre persévérance dans notre activité organisée et rationnelle.
Chaque musulman trouve en le Prophète (P.S.) et ses compagnons un modèle à suivre. Ainsi, après avoir préparé toute la campagne de Badr, l’élu d’Allah est entré dans une tente qui lui servait de quartier général et, les bras levés vers le ciel, n’arrêtait pas d’invoquer son Seigneur de lui accorder la victoire. Tout était pourtant préparé selon un plan logistique rationnel, le cœur des armées, leur aile droite et leur aile gauche, leur réserve d’eau et l’ensevelissement des puits pour gêner l’ennemi, mais il savait que tout était subordonné au Tout Puissant, et à Sa volonté.
Un jour, j’ai fait une expérience riche en enseignements. J’avais, lors de mes rares congés, tenté de suivre une à une les invocations du Prophète (P.S.). Grande fut ma surprise, toute agréable d’ailleurs, lorsque je sus selon ce que rapportaient les traditionnistes que l’élu (P.S.) invoquait Allah lorsque le vent soufflait, lorsqu’il se réveillait la nuit, lorsqu’il apercevait la lune, à l’arrivée des caravanes, avant et après les ablutions, avant de se mettre en état de consécration pour le pèlerinage, après la récitation du Coran et même après qu’il a formulé la grandeur d’Allah (Takbir). Pour chacune de ses circonstances, selon ce qu’on rapporte, il avait une invocation particulière, même dans son domicile avec les siens. Tout cela prouve que le lien avec Dieu, jamais ne devrait être rompu et jamais d’ailleurs il ne se rompra. De notre côté, nous suivons l’exemple du Prophète (P.S.) et si quelque homme vertueux devait se passer de l’invocation, il aurait été le premier à le faire.
Je conclue en rappelant que le Prophète (P.S.), en tant que sceau des messagers, a été l’élu d’Allah qui l’a préféré à tous les êtres humains et l’a donc honoré de nombreuses vertus. Historiens et traditionnistes rapportent que lorsqu’il accomplissait des rogations de la pluie, il se mettait à pleuvoir avant qu’il ne se levât de sa place.
L’invocation donc est un véritable sacerdoce qui ouvre bien des portes, engendre des bienfaits incomparables et une grande énergie à celui qui la formule. Elle recommande un code et des conditions qui, s’ils ne sont pas respectés créent comme des parasites dans le canal de communication venant de l’homme en tant que destinataire du message.
En conclusion, je prie Allah le Tout Puissant, Souverain de toute chose, de vous récompenser, Majesté, pour les services que vous ne cessez de rendre à l’Islam et aux Musulmans, aux ouléma et aux étudiants et de vous accorder le succès en raffermissant vos pas dans vos orientations judicieuses.
Qu’Allah vous préserve en la personne de S.A. Royale le Prince Moulay Rachid et du peuple Marocain qui s’est mobilisé autour de vous pour s’engager dans la voie que vous lui avez tracée. Allah faites régner la prospérité dans les pays musulmans et accordez Vos grâces à Vos créatures, qu’elles vous invoquent ou omettent de vous invoquer. Allah en Vous nous retrouvons, la paix, la sécurité et la sérénité que vous répandez sur terre.
[1] Conférence religieuse animée par le Pr Ibrahim Job, Secrétaire Général de la Ligue des Ouléma du Maroc et du Sénégal, en présence de S.M. Le Roi MOHAMMED VI, puisse Dieu le glorifier, le 08 du mois de ramadan 1423 de l’hégire (13/11/2002).