M. Ahmed Toufiq: Mot de cadrage, Rencontre de Marrakech « Les Droits des Minorités Religieuses dans les Pays à prédominance musulmane : Le Cadre Légal et l’Appel à l’َAction »
Monsieur Ahmed Toufiq, Ministre des Habous et des Affaires Islamiques a présenté lundi 25 janvier 2016 son intervention à la rencontre de Marrakech : « Les droits des minorités religieuses dans les pays musulmans: Le cadre légal et l’appel à l’action ». Il s’agit d’un mot de cadrage de la rencontre de Marrakech.
Le texte intégral du mot de cadrage est le suivant:
« Mesdames et Messieurs,
Les savants de l’Islam ont porté une attention particulière aux circonstances de la révélation, non seulement au regard des versets révélés qui l’évoquent, mais au regard, aussi, des événements imprévus. Ils désignent par les circonstances de la révélation l’ensemble des causes et des obligations ou alors le processus objectif qui a présidé à un événement quelconque et que les Fouquaha (jurisconsultes) qualifient parfois d’événement circonstanciel. Aussi l’intérêt porté aux circonstances de la révélation consiste à mieux saisir et formuler un bon jugement lesquelles ont un lien organique avec le contexte. L’inspiration de cette méthodologie des Ouléma nous impose à introduire, dans le déroulé de notre rencontre, ce cadrage introductif qui n’a d’objectif que d’invoquer les éléments de synthèse, justifiant les raisons de la tenue de cette rencontre, pour ne pas induire en erreur ni entraîner un dépassement de la part des personnes réputées pour être justes.
Ainsi, nous pouvons donner un cadre à cette rencontre selon trois processus complémentaires : religieux, organisationnel et politique.
Premièrement, le contexte religieux nous permet d’éclairer la nature de cette rencontre et sa particularité au regard d’autres événements. Ce contexte religieux s’appuie sur trois orientations conformes à la tradition islamique et se réfère à des textes de la tradition prophétique, connues des spécialistes et qui trouve son illustration dans les trois faits suivant
- Le lien entre religion et science
- L’impératif de la justice et de la modération dans le référentiel religieux
- La religion fondée sur l’obligation de conseiller le gouverneur d’une part et le grand public d’autre part.
Il apparaît de ces orientations que les Ouléma sont, les seuls, concernés par l’interprétation du texte puisque les textes sur lesquels s’appuient les religieux pourraient non seulement servir à consacrer des droits ou à contrario les restreindre mais pourrait être instrumentalisé dans la commission des crimes au nom de la religion mais, en réalité, à l’encontre de la religion. La cause du détournement de ces textes religieux, comme le consacre la tradition et l’héritage islamique depuis l’époque du prophète, réside dans trois types de calamités : l’ignorance, l’imposture et l’extrémisme.
Il n‘est guère surprenant que cette initiative émane des Ouléma, surtout que les trois calamités évoquées portent préjudice à leur mission. Ils sont alors conviés à vérifier et clarifier les concepts. En effet, les Ouléma, par leur statut, ont leur place dans le domaine des droits que le grand public, à notre époque, croit à tort, qu’il est monopolisé par des instances autres que celles des Ouléma.
De même que les savants se sont penchés sur les circonstance de la révélation, ils se sont attelés à rectifier les informations et mettre en place les conditions nécessaires pour attribuer leur confiance aux transmetteurs.
A l’heure de la généralisation des nouvelles technologies de communication, ces questionnements sont devenus sensibles comme le démontre la place d’internet dans l’endoctrinement et le recrutement d’une frange de la jeunesse enthousiasmée par la foi et induite en erreur par des usurpateurs du statut des Ouléma.
A titre anecdotique, mais néanmoins significatif, un Faquih égyptien du 17ème siècle, Al Manawi, invoque le texte de l’évangile pour réfuter une telle imposture : « un aveugle peut-il guider un autre aveugle ? ne tomberaient-ils pas, les deux, dans le puits ? »
Deuxièmement : le contexte organisationnel qui est aussi un contexte méthodologique, il s’agit des circonstances qui ont conduit à la tenue de cette rencontre et la formulation de son objet.
Ces circonstances se déclinent en cinq points :
- L’organisation pour la première fois, par des autorités scientifiques et religieuses islamiques, d’une telle rencontre de ce niveau, au cours de laquelle des Ouléma donneront la pleine mesure de leur réflexion et en soumettant cette question au débat. C’est une réalisation, d’une grande importance et qui mérite, en elle-même, reconnaissance.
- Pour les besoins de cet événement, des séances préparatoires ont eu lieu durant les deux dernières années de la part de toutes les parties concernées.
- Considérer le devoir de clarification et du conseil comme une obligation collective. L’acte de faire le bien ne peut être circonscrit, il n’y a donc guère de place aux questionnements sur la représentativité des organisateurs car le chantier reste ouvert et porte sur le rappelle des fondamentaux concensuellement approuvés. Comme il n’est pas question non plus de tractations intéressées ou disputations doctrinales ou tout autre particularité relevant du débat.
- L’intégration de travaux de recherches scientifiques, issus de divers processus historiques et intellectuelles, a pour objectif d ‘apporter un éclairage et de consolider le principe et non d’initier un débat inutile, sachant qu’aujourd’hui, les attentes de toutes les religions résident dans la cohabitation et la solidarité.
- Convier les représentants des autres religions, dont sont issus les minorités, à être témoins oculaires de ce manifeste et se mobiliser aux côtés des. La raison d’être de cette rencontre est d’associer les représentants des autres religions à cette initiative pour le présent et pour le devenir, ceci permettra mieux saisir et éviter les généralisations qui nuisent à la compréhension des messages de la religion ainsi que tout jugement erroné qui ne peuvent qu’aboutir à accentuer l’intolérance et faire éloigner des voies de la sagesse et du salut.
Troisièmement : un contexte politique qui dessine les perspectives de cette rencontre.
C’est parce que les Ouléma n’ont d’autres missions que de rappeler et confirmer les principes fondateurs et les valeurs et délivrer des conseils pour formaliser ces principes et ces valeurs, que les acteurs politiques les ont sollicités. Il est attendu des acteurs politiques de veiller à garantir les droits et les fixer dans le cadre de la loi dans chaque pays. Comme cela est rappelé dans le message Royal. Dans le cas des minorités, il existe en effet des dispositions détaillées qui garantissent l’acquisition et l’exercice de ces droits. Cependant notre rencontre n’est en aucun cas le lieu de rentrer dans les détails, car ce qui est exigé à ce propos c’est de rappeler le principe et de se conformer à son esprit tout en dégageant toute responsabilité de la religion dans la violation de ses principes.
En guise de clarification nous signalons, à toute fin utile, que les minorités musulmanes vivant dans les pays non musulmans jouissent différemment des droits selon les pays considérés. Cela va de la négation totale de ces droits ou de la neutralité jusqu’à une reconnaissance de l’intégralité de ces droits civiques que prévoit la citoyenneté dans certains pays d’accueil.
Cependant, lorsque les Ouléma, organisent ce genre de rencontre, ils comptent à l’instar des politiques, sur deux autres choses :
- Premièrement, faire usage de leur vocation de prédicateur pour renforcer le devoir afin de gagner la confiance du large public des musulmans pour faire entendre leur voix légale, afin de gagner le pari de cette question des droits des minorités.
- Deuxièmement, réussir à sensibiliser les communicants autour de cette cause essentielle mise en évidence par la clairvoyante lettre royal à savoir, il n’est permis à aucun d’évoquer la religion afin de justifier une quelconque atteinte aux droits des minorités religieuses dans les pays à majorité musulmane.
Nous pouvons alors conclure cette intervention par le rappel d’un constat indiscutable : que les religions dans leur substance et leurs messages appellent à instaurer une éthique du Bien fondée sur la justice et la modération, ils inscrivent ainsi leur esprit dans le partage de l’universel et la lutte contre l’esprit du clan.
Enfin, le monde d’aujourd’hui, comme nous en sommes les témoins a expérimenté tout au long de sa marche contemporaine des modes de vie des conduites et des réflexions. Cela ne l’a pas immunisé pour autant contre les crises multiples qui le menace. Néanmoins ces crises sont susceptibles d’inciter les hommes, dans une large mesure, à être constamment dans la quête de sens de leur vie et la signification de l’existence.
L’homme aura ainsi grand besoin des religions et de la spiritualité dans le socle aiderait les hommes à trouver une réponse à leurs interrogations portées par la preuve. Mais point de preuve si les religions ne s’éloignent de l’intolérance et l’adversité ».